Allez approche petit, n'aies pas peur, je ne te veut pas de mal.

La créature me regardait de ses grands yeux pleins de curiosité alors que je lui tendais une friandise, m'efforçant d'afficher un sourire amical et le moins hypocrite possible, même si ça n'était pas facile. En effet, cela faisait sept semaines que je lui courrait après, Bilgewater au complet s'était mobilisé. Nous avons dû l'isoler du requin-goliath qui le suivait partout et nous empêchait de l'approcher, puis l'avons forcé à se terrer dans une cachette de fortune, et nous voilà ici à nous regarder mutuellement.

Approches ! Je te dis que je ne te ferais rien, tu vois ça ? C'est très bon, viens c'est pour toi !

Je bouillonnais intérieurement en le voyant se méfier de moi, il approchait lentement, trident levé vers mon visage, je remua la friandise , qu'il vint renifler.

Prends !

Je fut enfin soulagé en le voyant l'attraper, l'engloutir en une bouchée avec un air satisfait -il était caché ici depuis quelques jours et ne doit pas avoir vraiment mangé depuis, c'est sûrement ce qui l'a poussé- , et s'endormir aussitôt.
Mission accomplie.


Tu es réveillé ?

J'avais interrompu mon expérience en voyant qu'il était entrain d'ouvrir les yeux. À son air surpris, il ne comprenait visiblement pas vraiment ce qui arrivait, sûrement que les anesthésiants que nous lui avons injectés pour le voyage à Piltover n'aidaient pas.

Voici ta nouvelle maison, fils, tu vas passer un moment ici alors fait comme chez toi.

Il ne risquait pas de faire comme chez lui, enfermé dans cet aquarium, et ne comprenait pas un de mes mots, mais cela me faisait bien rire de voir son regard plein de curiosité chaque fois que je parlais, on voyait dans ses yeux qu'il voulait savoir ce que signifiaient mes mots, même si il n'y avait pas que ça, il y avait de la peur aussi, mais ça je n'en tint pas compte.


La bestiole était entrain de se débattre alors que deux scientifiques le maintenaient avec difficulté pour l'empêcher de s'enfuir, un troisième, qui portait un mètre dans sa main, m'annonça

0.81 mètres de hauteur.

Il se débattait comme un diable, mon collègue mit en tout trente minutes pour mesurer ses dimensions précises, et il fallut une heure complète pour le peser, fichue bestiole.

Quand les divers prélèvements de tissus et tests oculaires, de réflexes et j'en passe furent terminés, mes collègues sont partis de mon labo, me laissant seul avec la créature qui avait au bout d'un moment totalement arrêté de se débattre, je le raccompagnais à son aquarium, il traînait des pattes comme s'il supportait tous les malheurs du monde, je commençait à en avoir pitié, c'était bien la première fois en quarante années de carrière...



Et bah fils, t'as pas faim ce soir ?

Il était assis au fond de son aquarium, c'était la quatrième journée de suite que ce bougre ne voulait pas manger, ce devait être dû à la succession de tests à laquelle il avait encore eu droit, c'était la quatrième depuis un mois qu'il « habitait » ici, et bien que ces fichus « Protecteurs des animaux » de Piltover ne soient pas mes meilleurs amis, je commençait à trouver que ça faisait trop...
Je le regardais, depuis tout ce temps il était dans quinze mètres cube d'eau, et ne bougeait que pour les batteries de tests. Je m'approcha de l'aquarium et attrapa la manivelle d'ouverture de la trappe.

Viens donc te dégourdir les jambes, ça te fera du bien.

Il leva la tête d'un coup, étonné, on voyait qu'il n'en croyait pas ses yeux ce qui me fit sourire. L'animal fit deux brasses rapides pour approcher de l'ouverture et se hissa à l'extérieur, me guettant toujours de ses deux grands yeux.

Alors, fils, tu vas ptet manger un jour, nan ?

C'est là que la bestiole s'est mise à faire de drôles de grimaces, je me suis d'abord demandé si il allait vomir, mais j'ai vu qu'il semblait... articuler ?

Fil...zzzz

Sans voix, j'étais littéralement sans voix, il marqua une pause et se mit à sourire, première fois que je le voyais avec cette tête-là.

Fil...zzzz

Fils, cette bestiole venait de dire fils, bon, il avait bouffé la moitié du mot, mais c'était déjà assez incroyable...

Fils ?

Fil...zzzz

Je me mis à rire, ils allaient pas en croire leurs yeux les collègues...
Pas en croire leurs yeux, et jamais le lâcher... Il valait mieux le cacher aux autres afin de lui éviter plus d'ennuis qu'il n'en a déjà...



Nonononononononon pas touche !

Mais attends c'est rigolo...

Je soufflait un moment après avoir enfin réussi à lui enlever le flacon d'acide des mains, il s'était mis en tête de le goûter pour voir si ça avait bon goût...

Je t'ai déjà dit de ne toucher à rien, Fizz.

Pfff, pas drôle.

Ça faisait déjà un an qu'il était avec nous, j'avais eu le temps de lui apprendre notre langage à l'oral et en partie à l'écrit, il apprends à une grande vitesse et m'étonnait tous les jours un peu plus.
Je cherchais un moyen de le faire libérer, mais rien n'est simple à Piltover et les tests continuaient, surtout depuis la découverte d'étonnantes facultés régénératrices, je ne compte plus le nombre de membres que les professeurs du département médical lui ont coupés pour voir comment ça repousse... J'étais le seul à connaître sa situation d'animal parlant, sinon ça lui aurait valu de passer sa vie ici, même si c'était déjà bien parti pour...

Je regardais celui que j'avais décidé de nommer Fizz depuis son premier mot, le jeune amphibien ne comprenait pas dans quels ennuis il était fourré...

Et ça je peut ?

Mais Non !



Debout Fizz !

Humf, encore un peu...

J'ai dit debout, tu dois partir.

Hein ?!

J’ôtai le bout de couette qu'il utilisait pour dormir de son corps et le secouait pour qu'il se lève, il fallait faire vite...

Suit moi.

Il se mit debout, totalement gazé, le soleil n'allait se lever que dans quatre heures, et mes collègues dans trois... Je lui tendis un objet qu'il m'avait réclamé plus d'une fois et qu'il n'avait pas vu depuis un an, une arme runique que j'avais dû récupérer en douce au département archéologique.

Mon trident, mais...

Tais toi et suit moi

Il s'exécuta alors que je récupérais une grosse pierre de son aquarium pour la lancer en travers de la vitre, la brisant avec un bruit fracassant, avant de repartir en courant jusqu'à la sortie du bâtiment, le bruit n'étais sûrement pas parvenu aux autres.  

Mais on va où tonton ?

Tu vas devoir partir...

Nous arrivions devant la charrette de commerce du charretier à qui j'avais donné de l'argent pour m'attendre ici avant son départ pour Bilgewater, je n'aurais pas de mal à l'y couvrir d'ici.

Monte, tu dois vite partir, une fois arrivé reste à Bilgewater.

Mais...

Dépêche-toi.

Fizz monta dans la charrette, je vint régler le charretier et retourna rapidement vers l'aquarium.

Quelques heures plus tard, mes collègues entrèrent dans la pièce, équipés pour la dissection prévue pour le matin-même, trouvant un aquarium brisé et moi, allongé avec une trace ensanglantée sur la tempe. Ils prirent le temps de m'aider à me relever.

Il a réussi à s'échapper, je n'ai rien pu faire...


Je crois qu'il va bien, j'en entends régulièrement parler par les autorités de Bilgewater, mais je leur réponds que nous sommes trop occupés pour le recapturer, c'est un des avantages à s'occuper du courrier du département de zoologie. J'ai aussi cru comprendre qu'il avait été convoqué par la league.