La passe de Mogron était loin derrière nous à présent. Je ne me retournais même pas. Ce qui se trouvait derrière ne m'intéressait pas. Ou du moins, ne m'intéressait plus. Je n'en pouvais plus de contempler les vestiges des guerres. Les morts, les tombes. Et pourtant. Mon immense pouvoir me condamnait à y rester accroché.

"Draene, regarde, devant, ce village."

La voix qui résonnait dans ma tête me fit sortir de mes pensées, me faisant réaliser qu'effectivement, il y avait un ramassis de maisons au bout de cette lande. Oh, oui, j'allais enfin pouvoir rencontrer des gens de ce côté du continent.

"Draene, tu sais que tu en connais déjà. Cesse de penser ainsi. Tu sais que c'est blessant pour nous."

Je soupirais. Il savait pertinemment que je n'avais pas voulu tourner ma pensée de la sorte.

"Je m'en excuse, mon but n'était pas de vous rabaisser. Mais les gens de ce présent m'intriguent encore. Je veux en savoir plus sur leur avis."

Oui, je devais d'abord leur demander. Vérifier quelles étaient leurs motivations. Savoir comment ils vivaient leur soumission.
Alors que nous nous rapprochions, je vis un homme travaillant dans un champ de blé. Protégé du soleil par un chapeau de paille, il semblait inspecter la multitude d'épis qui s'étendaient devant lui. Ordonnant à ma monture de dévier de son chemin, je m'approchais de ce paysan, qui me remarqua et me fit un signe de main.

"Bien l'bonjour m'sieur ! Belle journée, n'est-ce pas ?"

Gardant ma capuche, je descendis de mon cheval, tombant au sol avec un bruit lourd. Mes bottes de cuir foulant le sol, je m'avançais jusqu'à la première rangée d'épis.

"J'ai une question. Dans quel pays sommes-nous, ici ?"

Ma voix était nette et ne laissait pas de place au doute. J'attendais une réponse.
L'homme en face de moi sembla bien le comprendre, ne perdant pas de temps pour me répondre.

"Ben on est sous la juridiction de Demacia. On est assez loin d'la Cité, mais on dépend d'eux."

Je le coupais aussitôt, ma question me brûlant la langue.

"Que pensez vous de la League et des Invocateurs ? Que pensez-vous de ceux qui vous enchaînent et vous exploitent ?"

Le sourire disparut de la face du travailleur, qui semblait enfin se rendre compte qu'il n'avait pas affaire à une personne classique. Pas un voyageur lambda.

"Tu connais déjà sa réponse, Draene."

N'écoutant pas leur voix, je me concentrais sur mon interlocuteur, attendant juste la réponse que je désirais tant.

"Mais... La League empêche les conflits ouverts avec les autres nations, c'est plutôt avantageux... On perd pas nos champs, on a pas à aller à la guerre..."

Je voyais tout à fait où il allait en venir. Il n'était donc pas contre ces chaînes. Il était pleinement asservi et presque heureux de l'être.
Ce type de personne était tout ce que je haïssais. Ne cherchant jamais plus loin que ce qu'on leur donnait. Les invocateurs pouvaient créer de la nourriture mais ils laissaient ces gens se tuer à la tâche.
Impardonnables despotes.

"Très bien, merci pour votre réponse. Laissez moi vous faire un cadeau pour votre sincérité."

***

Je repartais du village, continuant ma route vers le nord et mon objectif, l'Institut de la Guerre, la demeure des vils maîtres de ce monde. Quelques jours, voir semaines, et je serai enfin à la source ultime de magie. Et alors plus rien ne pourrait m'empêcher d'en finir. De brûler les symboles de leur oppression, de tuer tous ceux qui les soutenaient et les suivaient. Anéantir ces gens. Oui.
Reproduire ce que je venais de faire subir à ce village. Je me retournais vers mon oeuvre, des flammes bleues omniprésentes dans le paysage. La destruction elle-même.

"Draene, tu as bien fait. Ces gens auraient été un obstacle à la chute de la League."

Je savais. Et c'était pour cela que je leur avais fait ce cadeau.
Je leur avais donné la liberté la plus totale.